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COMMENTAIRE DÉTAILLÉ

  

Chronique, écrin du temps                                                              

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© 2014 Saint-John Perse, le poète aux masques (Sjperse.org / La nouvelle anabase). Site conçu, écrit et réalisé par Loïc Céry.

  

Saint-John Perse                     


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 Chant I (p. 87-88)


Dans une solennité marquée, ce premier chant expose un moment, un rendez-vous, une sorte de face-à-face qui s’institue à la faveur de l’échéance finale d’un parcours de vie humaine, avec le motif qui fera le leit motiv du poème : « Grand âge, nous voici », dans ce type d’adresse directe qui est si souvent présent chez Perse. D’emblée, l’idée de la sérénité mobilise l’espace de l’invocation du Grand âge : « ”Lève la tête, homme du soir. La grande rose des ans tourne à ton front serein. » Venant renforcer cette idée de la sérénité, les images mobilisées tout au cours du texte reflètent le motif d’une vie qui se clôt dans la plénitude – voir notamment les métaphores du ciel crépusculaire (avec son jeu, sa palette de couleurs) et de l’homme face à la mer.



Chant II (p. 89-90)


Contrairement à ce qu’induit en général l’acception de la sérénité face à l’âge telle qu’elle a été annoncée au premier chant, c’est sur le registre de l’intensité qu’elle est développée ici. Au contraire de la préparation au repos éternel qui en est normalement le point d’aboutissement, le Grand âge est perçu ici comme un tremplin pour l’exercice d’un renouvellement des forces vives, déployant plusieurs caractères tout aussi contraires aux conventions :


1) L’intensité et l’ardeur d’une existence menée jusqu’à son plein accomplissement, impliquant : le dépassement du temps (« Le temps que l’an mesure n’est point mesure de nos jours ») ; l’irréductibilité de la force vitale (« Nous n’avons point commerce avec le moindre ni le pire. Pour nous la turbulence divine à son dernier remous… ») ; la démesure du destin (« ”Grand âge, nous voici sur nos routes sans bornes ») ; la hauteur même comme sentiment et sensation d’une intensité qui advient (« Claquements du fouet sur tous les cols ! Et très haut cri sur la hauteur ! »).


2) Le dépassement de la destinée mortelle (quatrième et cinquième laisses) : accès à une sorte d’intemporalité de l’âme (sinon d’immortalité, ce qui ferait appel à une transcendance extérieure qui n’existe pas chez Perse ; cf. Œuvres complètes, p. 1133, note sur Chronique : à propos de la « notion intemporelle d’éternité dans Chronique » ; la transcendance selon Saint-John Perse, se décline à partir de l’humain, vers un inconnu innommé parce que radical – ici, l’intemporel de l’âme). La quatrième laisse particulièrement se focalise sur l’image du corps comme gîte temporaire de l’âme : un corps accessoire qui loge temporairement une âme qui lui est supérieure, parce que dépassant les limites du temps – « Le valet d’armes accoutré d’os que nous logeons, et qui nous sert à gages, désertera ce soir au tournant de la route ». Ce gîte sera finalement quitté au dernier chant (image finale du « grand pas souverain de l’âme sans tanière »).


3) L’accès à une réalité supérieure n’induit pas une transcendance extérieure, mais une transcendance qui découle de la destinée humaine elle-même, impliquant une confrontation à une éternité du temps lui-même (non point la vie éternelle donc, mais plutôt l’intemporalité qu’atteint l’âme (de la sixième à la huitième laisse).



Chant III (p. 91-92)


D’une grand richesse poétique, ce chant consacre un regard sur ce que fut le destin de l’homme, un bilan de ce face-à-face de l’homme avec son destin. Il s’agit donc d’une réminiscence à l’abord de l’échéance de la vie, de ce qui fut accompli par l’homme.


1) Le destin humain (première strophe) : saisi dans son ancienneté à la première laisse, à la mesure et à hauteur de l’intemporalité et d’une dimension immémoriale – « Notre race est antique, notre face est sans nom. Et le temps en sait long sur tous les hommes que nous fûmes ». De la deuxième à la cinquième laisse, idée selon laquelle le destin humain est inséparable d’une quête (et non d’une errance) : « ”Nous avons marché seuls sur les routes lointaines ; et les mers nous portaient qui nous furent étrangères. » A la sixième laisse, dans le destin humain, accès à une plénitude rendue possible par le face-à-face de l’homme avec l’ « abîme », c’est-à-dire avec l’énigme fondamentale : « Et dans l’abîme gris et vert aux senteurs de semence, couleur de l’œil des nouveaux-nés, nous nous sommes baignés nus – priant, que tout ce bien nous vînt à mal, et tout ce mal à bien. »


2) L’homme face à son destin (deuxième strophe) : identité ombrageuse de l’homme dans son « ombrageux destin » (Nocturne) – c’est le sens de toute la première laisse, avec cette figure des « Prédateurs » (non pas les hommes du repos, mais de l’ardeur). Interviennent alors les interrogations fondamentales, les intuitions suprêmes sur l’identité d’une éventuelle entité divine (la « main ») qui permet cet accès à l’intemporalité, qui serait donc muée en éternité (dans son acception religieuse). La réponse en quelque sorte est donnée dans l’interrogation elle-même : « et cette part en nous divine qui fut notre part de ténèbres ? » La divinité est située en l’homme lui-même, et non en une transcendance extérieure. L’interrogation métaphysique intervient alors à la troisième laisse : elle porte sur l’homme en général, sur l’humanité, à partir du constat du statut d’étranger de l’homme au monde, de l’exil ontologique de l’homme au monde. Connaît-on en somme vraiment l’homme et sa fonction propre, en son destin propre, doté de ses capacités intrinsèques ? « Nous passons, et, de nul engendrés, connaît-on bien l’espèce où nous nous avançons ? Que savons-nous de l’homme, notre spectre, sous sa cape de laine et son grand feutre d’étranger ? » Visualisation, ici, de cet exil ontologique, renforcée encore à la quatrième laisse par l’image de l’humanité comme cohorte d’ « étrangers sans nom ni face ».



Chant IV (p. 93-94)


Particulièrement en ce chant, apparaît la conciliation, dans le propos du poème, entre l’expérience du poète lui-même et le regard porté sur le destin de l’homme en général, venant confirmer cette « double acception, personnelle et impersonnelle » à laquelle il fait allusion p. 1133 du volume des Œuvres complètes, à propos de Chronique. Le propos se distingue d’ailleurs de toute poétisation antérieure traditionnelle de la vieillesse (cf. par exemple Ronsard), en cela même que par son ambition, cette identification permet au poème de plonger dans l’authenticité d’un moment et d’un destin singuliers sans perdre contact avec une portée de généralisation revendiquée. L’équilibre est ici savamment trouvé, entre toute allusion qui pourrait effectivement être rapportée à un parcours circonscrit (le sien propre, mais avec comme on le sait, dans les conceptions poétiques de Perse, une haine cordiale pour toute personnalisation outrancière dans la lecture de son œuvre) et cette fameuse loi de la transposition qui règle cette poétique, lui permettant d’atteindre justement la dimension générale.

En ce chant IV, la double acception porte sur le bilan de cette quête évoquée précédemment, cette recherche constante propre à l’homme, éternel nomade (cf. in Œuvres complètes, p. 570, note relative à Amers : « l’homme, cet insatiable migrateur »). Il n’est pas difficile de débusquer un certain foisonnement de références personnelles se rapportant à l’enfance et l’existence familiale (la famille conçue comme entité humaine enracinée). Mais, par son propre destin, intervient l’aveu de son caractère d’étranger par rapport à cet enracinement premier (où l’on retrouve bien sûr la blessure première de l’exil) – ainsi les trois premières laisses insistent-elles sur l’identité d’ « Errants », par rejet de ce qui s’opposait alors à cette vie d’errant, image de son propre parcours (les éléments symboliques y sont légion). Par l’inversion des éléments, la quatrième laisse permet quant à elle l’identification de ce sens qu’a emprunté le parcours, à savoir le sauvage, le vif, le libre.



Chant V (p. 95)


Revendication par l’homme (c’est-à-dire dans le même temps, par le poète), de sa liberté vécue et de ses acquis. Cette liberté se décline de la première à la quatrième laisse, en revendication du dépouillement : l’homme se reconnaît volontiers détaché des choses, jaloux des acquis d’une liberté irréductible. A la quatrième laisse, l’acquis se livre comme celui du destin lui-même, avec l’idée d’un accomplissement qui s’annule lui-même, devant la primauté de l’ardeur de vivre, l’intensité d’être, chantées au sein de la cinquième laisse, consacrée à une exaltation de cette intensité, de cette énergie de l’être, comme voie essentielle de la réalisation de la plénitude : « ”Hors des légendes du sommeil toute cette immensité de l’être et ce foisonnement de l’être, toute cette passion d’être et tout ce pouvoir d’être » S’y glisse un rejet de la croyance dans les pouvoirs du rêve, du songe (« Hors des légendes des mythologies du sommeil ») qui permettrait d’accéder aux soubassements de l’être : c’est ici et comme toujours chez Perse, la veille, la pleine immanence qui seules permettent cet accès. « Immensité », « foisonnement », « passion » et « pouvoir » sont les attributs de cette saisie de l’être dans l’immanence (que l’on trouvait tant exaltée déjà dans Vents).


  

Chant VI (p. 96-98)


Le rendez-vous avec le Grand âge est le rendez-vous avec une réalisation. Le sentiment, la conscience de la plénitude emplissent la première strophe dans son intégralité, apportant un plein contentement existentiel. La deuxième strophe « Grand âge, vous régnez »), réitère la louange de ce moment du « grand sens » et de l’échéance décisive. Le terme de la vie génère le sentiment de la réalisation – deuxième strophe, deuxième laisse : le « chiffre » qui « n’est point chiffre » ; troisième et quatrième laisses : l’éternité atteinte ; cinquième laisse : la plénitude de l’instant, le règne sur l’ensemble des choses existantes ; sixième laisse : plénitude de l’instant, qui correspond à la plénitude de la vision (le parallèle est à noter ici avec un passage d’Eloges, où le regard de l’enfant embrasse toute la réalité vivante qui l’environne ; cf. aussi, dans Vents, motif oculaire très fréquent) ; septième laisse : même opposition à la mort ; huitième laisse : tout comme dans Vents, symbole chamanique de l’aigle, saisi ici dans une dimension clairement rituelle (« ”Jadis des hommes de haut site, la face peinte d’ocre rouge sur leurs mesas d’argile, nous ont dansé sans gestes danse immobile de l’aigle »), avec le parallèle dressé avec la « danse immobile de l’âge » ; neuvième laisse (vers) : comme une dimension d’immortalité atteinte («”Immortelle l’armoise que froisse notre main”. »), qui est surtout la saisie de l’intemporalité et de l’éternité.



Chant VII (p. 99-100)


Le rendez-vous solennel avec le Grand âge se déroule dans le théâtre de la Terre. Dédicace et louange à la Terre. La première strophe précise bien que ce rendez-vous en effet se déroule dans le cadre terrestre : « ”Et ramenant enfin les pans d’une plus vaste bure, nous assemblons, de haut, tout ce grand fait terrestre ». La deuxième laisse quant à elle énonce la louange, à ce théâtre qui accueille le déroulement de ce drame en cours, alors que l’ « Océan » entoure ce déroulement. Deuxième strophe : « ”Ô face insigne de la Terre, qu’un cri pour toi se fasse entendre, dernière venue dans nos louanges ! » Allusion à l’œuvre écoulée, au sein de laquelle en effet, après les vents, la mer, la Terre est le dernier élément à être célébré, si on excepte toutefois la dimension du désert dans Anabase. De la troisième laisse à la fin du chant : ce théâtre terrestre accueille en fin de compte un « renouement », au sens de Vents, à savoir la réalisation de l’unité de l’être, en ce Grand page.



Chant VIII (p. 101-102)


Ce dernier chant de Chronique pourrait à juste titre être considéré comme l’une des pages les plus accomplies de Perse, avec le sens de la grandeur et de l’attitude altière, la revendication d’une haute dignité qui caractérisent cette poésie. Il est donc essentiel de s’y référer en intégralité, comme exemple d’équilibre et de force dans l’expression poétique persienne.


Dans ce rendez-vous avec le Grand âge, le face-à-face avec l’ « issue », c’est-à-dire la mort s’opère dans une solennité et une sérénité achevées. Il s’agit aussi de la rencontre de l’âme avec une réalité plus grande et plus vaste que celle de la vie terrestre, sans que jamais il ne soit fait appel à une transcendance menant à une entité supérieure.


1) La sérénité d’un rendez-vous avec l’échéance ultime : les premières et deuxième laisses placent cette échéance dans la conscience de la globalité de l’univers et la relativité de l’existence, dans le sens de sa place exacte. La troisième laisse renforce l’idée de cette harmonie, avec l’élément d’une alliance avec la nature, en l’occurrence avec ces « grands arbres, comme tribu de grandes âmes ». De la quatrième à la onzième laisse : reprise de l’idée selon laquelle cette échéance est le moment d’une réalisation suprême, et un pont vers l’ « outre-mort » – « ”Pour nous chante déjà plus hautaine aventure. Route frayée de main nouvelle, et feux portés de cime en cime… » Une « plus hautaine aventure » par rapport aux choses humaines et terrestres évoquées à la laisse précédentes. En ce point, se voit confirmé tout le caractère sacré du poème : le propos en appelle à une réalité qui dépasse la sphère humaine, mais il ne faudrait pas y conclure à un mysticisme quelconque – il s’agit plutôt d’un sacré qui plonge dans l’humain pour considérer le dépassement par l’âme, de la condition mortelle, pour une intemporalité indéfinie. Même dans cette dimension sacré, Perse ne renonce pas à l’immanence, qui ici culmine avec cette saisie de l’âme par l’âme : « ”– fierté de l’âme devant l’âme et fierté d’âme grandissante dans l’épée grande et bleue. » C’est d’ailleurs cette immanence, le fait que cette saisie se concentre sur son objet propre, qui fonde la sérénité en question. A la douzième laisse, l’homme quitte la terre des vivants dans la paix intérieure, la sérénité qui a pour creuset cette conscience de la mort qui vient et par laquelle on laisse les lieux terrestres, la Terre – « ”Voici les lieux que nous laissons. »


2) Le dépassement par l’âme des frontières terrestres : treizième laisse, le poète s’est consacré à une « louange » du « cœur enténébré de l’homme » , avec toutes ses potentialités passées et futures. Ce « cœur de l’homme » désigne en fin de compte aussi bien le siège de l’énergie vitale que la nature humaine elle-même, en laquelle est inscrite le désir, la tension du dépassement ultime des frontières corporelles par l’âme. Quatorzième laisse : visualisation de cette délivrance de l’âme de son attache corporelle (« le grand pas souverain de l’âme sans tanière »). Le centre de la métaphore en est cette visualisation de l’âme se libérant de la gangue du corps, par l’image du fauve rôdant, avec le procédé habituel chez Perse, de l’adresse directe (ici, à la nuit). La puissance de l’image qui se déploie ici est considérable, et son agencement en relaie encore l’impact (avec cette allitération en R qui sous-tend l’ensemble).

Le dernier vers en appelle à prendre « mesure du cœur d’homme » : dans une adresse directe finale au Grand âge, demande, prière vers la conscience de ce bilan d’unité et de réalisation, pour toute une vie – tout cela, en une aune unitaire, le « cœur d’homme ».